Retour sur des plateaux ovalisés controversés après 7540,8 km de test.

Ronds ou pas : telle est la question

Il existe deux grandes familles de plateaux pour vélo :

• • • Les ronds
    • Les autres

Les plateaux ronds sont les plus courants, mais on trouve de nombreuses formes différentes sur le marché.

Entre promesses, exclusivité et envie de changer, il y a de quoi s’y perdre.

Une longue histoire

La forme des plateaux est un sujet d’innovation datant de plus de 100 ans. Avec plus ou moins de succès. La plupart des modèles présentés ont disparu depuis.

Un article y est même consacré dans la presse… le 1er mars 1906. Avec déjà de grandes promesses.

Dans l’histoire plus récente, le plateau éponyme inventé par Edmond Polchlopek commercialisé en 1978 est le plus connu.

Fait surprenant : selon une étude, malgré les moyens technologiques plus rudimentaires de l’époque, la forme du plateau est presque parfaite. – source

Le concept et les promesses

L’idée générale est de supprimer autant que possible le point mort situé au sommet du pédalier.

En ovalisant le plateau, le braquet est maximisé lorsque la poussée est facile, et réduit lors de la zone du point mort. Plus d’énergie (et donc de puissance) est transmise au vélo en augmentant le bras de levier quand il faudrait.

Cela permettrait donc d’économiser l’énergie en l’utilisant plus efficacement.

Des mathématiques, des modélisations et des formes

Intellectuellement aplatir un rond peut sembler simple.

Mais ovaliser un plateau requiert la mise en commun de nombreuses disciplines telles que la mécanique, la biomécanique et la physiologie pour ne citer qu’elles.

Si vous souhaitez approfondir le sujet, je vous invite à lire cet article. C’est clairement au-dessus de mes compétences alors je ne vais pas tenter une explication bancale ni faire de plagiat.

C’est d’ailleurs un sujet qui a fait l’objet de nombreuses études scientifiques et universitaires. ₁

Affaire complexe.

On se retrouve donc avec une multitude de modèles de plateaux non ronds avec chacun une forme et des caractéristiques particulières.

Les principales marques sont les suivantes :

• • • Rotor et ses Qring et Qrings XXL
    • O’Symétric et sa forme « twincam »
    • Dual Oval
    • Ogival : invention francaise avec une forme singulière

O’Symétric : mis en lumière par Christopher Froome

Ils sont relativement discrets et confidentiels. On en voit assez peu parmi les cyclistes.

Mais ils ont eu durant quelques années un ambassadeur exceptionnel en la personne de Christopher Froome. Il a « juste » gagné 4 tours de France, deux Vuelta, un Giro et a un palmarès long comme le bras. Victoires avec des plateaux O’Symétric…

C’est la seule marque de plateaux non ronds qui peut revendiquer un pareil palmarès.

Au sein d’une équipe où la recherche des gains marginaux est une religion (la Sky devenue Ineos Grenadiers).

 Bradley Wiggins en a utilisé également, au sein de la même équipe.

Instinctivement on penserait que si les bénéfices étaient universels, toute l’équipe en serait équipée.

Un essai opportuniste

J’avais entendu parler des plateaux ovalisés sans m’y intéresser et sans à priori sur leurs potentiels bénéfices.

Courant 2020 je décide de changer de vélo et je tombe sur une occasion en or. Un Specialized Venge Vias dont je rêvais depuis sa sortie. Un vélo exclusif avec une intégration parfaite, un look agressif et radical, mais réputé pour être tolérant malgré sa performance poussée à l’extrême. Parfait pour moi pour le dernier point. Équipé de composants haut de gamme dont je n’osais rêver posséder pour mon vélo de l’époque :

• • • Selle S-Works Power
    • Transmission électronique Dura-Ace Di2 11v
    • Cintre aérodynamique

Et en bonus des plateaux Rotor Qrings.

L’occasion parfaite de rouler sur un vélo haut de gamme aérodynamique tout en essayant du matériel radicalement nouveau par rapport a ce que je connaissais. Je roulais en Ultegra mécanique 10 v, et cela m’allait très bien.

Emporté par un élan de nouveauté (la crise du Covid étant pour quelque chose aussi), je craque et achète aussi des chaussures : Specialized S-Works 6.

Premiers pas et ajustement

Mon expérience peut être très différente de celle que vous pourriez avoir. Tout était différent : le vélo, la position, les plateaux, les chaussures. Il faut aussi dire que je n’avais pas roulé régulièrement depuis des mois à cause de douleurs.

J’étais vraiment intimidé par le vélo (complexe du cycliste moyen avec un vélo trop « bon » pour lui ?) et j’ai eu l’impression de me faire malmener pendant les premières sorties. Paradoxalement j’ai rapidement compris ce que les vélos et le matériel haut de gamme avaient de plus. Un vélo qui se débride au-delà de 35 km/h, une facilité déconcertante à maintenir des vitesses qu’on n’a pas l’habitude d’atteindre « aussi facilement ». La rigidité impressionnante et les sensations de la route différentes… Cela mériterait un article dédié.

Cela reste un avis personnel et très subjectif mais j’ai trouvé cette édition limitée aux couleurs de drapeaux de pays du plus belle effet. Personnalisation « utile » et esthétique.

Les crans munis de numéro permettent d’ajuster la position du plateau, j’en parle plus en détails un peu plus bas. 🙂

Spécifiquement pour les plateaux, les premières sorties demandent un certain temps d’adaptation. Cela m’a demandé environ 300 km et plusieurs ajustements OCP (Optimum Chainring Position – position optimale du plateau).

Les plateaux permettent 5 positions afin de s’adapter au mieux au pédalage de chacun.

C’est assez déconcertant, car on a l’impression de pédaler dans le vide et on perd presque tous nos repères braquet/vitesse/sensation. La cadence augmente instantanément et on sent que les muscles travaillent différemment. On se surprend à découvrir de nouveaux muscles.

Hormis dans les cotes ou quand on est complètement explosé durant une sortie, on se soucie assez peu du point mort. Avec Qrings, on le ressent pleinement dans la mesure où il y a un basculement comme si on le sautait.

À l’utilisation

Après la phase d’adaptation et de personnalisation suivie scrupuleusement, j’ai modifié l’OCP de 3 vers 4 après plusieurs centaines de kilomètres. Je n’ai eu aucune douleur. D’un autre coté j’avais effectué une étude posturale qui à forcément joué.

Chose surprenante, la cadence moyenne augmente significativement et on maintient plus facilement des cadences élevées tout en appuyant fort sur les pédales.

La fatigue musculaire est différente avec les plateaux ovalisés et arrive moins rapidement. Bien que fatigué après une sortie ou quand ça grimpe, on garde la sensation d’être toujours facile. Fini la sensation de pédaler « carré » avec des rotations saccadées.

Je pensais que c’était « l’effet Waouh » du nouveau matériel et que ça allait passer. Mes sensations sont restées les mêmes.

Malgré le Specialized Venge aérodynamique, lourd (un peu plus de 8 kg en taille 58) et ses roues de 50 mm… Loin de l’idée que l’on se fait d’un vélo taillé pour la montagne. J’ai fait quelques grimpettes en Alsace, dont la planche des belles filles. Équipé de mon 52/36 et 28/11 à l’arrière.

Un exemple non exhaustif d’autres montées que j’ai eu la chance de découvrir.

• • • Grand Ballon
    • Ballon d’Alsace
    • Col des croix et d’autres

L’alsace est une région à découvrir, aussi bien pour la gastronomie que les routes mythiques à faire à vélo. Un paradis pour la randonnée et les treks aussi.

Cela s’est super bien passé et je me suis senti aidé par les plateaux ovalisés dans les portions difficiles. Le vélo était très réactif, « facile » et je n’ai pas ressenti son poids ni une rigidité handicapante.

Le fait de ne pas « buter » sur le point mort permet de garder une belle cadence de pédalage et améliore les relances dans les lacets. Même s’ils ne retirent pas la difficulté du parcours.

Les milliers de kilomètres se sont enchainés par tous temps et avec des parcours variés sans avoir à modifier le réglage initial.

Ce jour là, température ressentie de -3°C, de la glace dans la tétine du bidon. Je dois vous avouer que les conditions étaient quelques peu tendues. Jamais loin de la glissade et quelques plaques de verglas évitées. Une belle sortie de la fin du mois de janvier.

Les sensations sont sensiblement les mêmes pour toutes les sorties.

Peu d’inconvénients

Je n’ai pas eu de problèmes à l’utilisation, j’ai pu lire des avis contraires.

Même en danseuse, je n’ai pas eu de sensation désagréable.

Pas de difficulté avec le dérailleur avant

La transmission est un des éléments que je ne touchais jamais en mécanique. Il est très facile de faire des bêtises, surtout avec les transmissions à câbles.

Encouragé par le Di2, j’ai réglé la position du dérailleur avant quand j’ai changé les plateaux (passage d’un 50/34 à 52/36). Les instructions sont claires et je n’ai pas eu à reprendre mon réglage initial.

Évidemment, le fait de ne pas avoir à régler la tension d’un câble et la position intermédiaire du dérailleur (déport avant changement de plateau) a facilité l’opération.

Mais selon de nombreux retours, le réglage est moins simple avec les plateaux Osymétric et la forme en Twin-came.

Pas de déraillement

C’était l’une de mes craintes, car c’est un problème souvent cité pour les plateaux non ronds.

Je ne peux pas dire que je n’ai pas déraillé une seule fois en + 7500 km. Il y a certaines actions qui finissent inévitablement par un déraillement. Comme changer brutalement de vitesse en forçant sur les pédales, quand les dents des plateaux sont usées, etc.

Mais je n’ai pas eu de déraillement intempestif, ils se comptent sur les doigts d’une main.

J’ai rajouté une patte anti-déraillement Rotor par précaution après le changement.

Et le prix ?

Rouler en transmission Rotor ne m’a pas coûté plus cher qu’en rond.

La paire de plateaux pour pédalier compact (entraxe 110) m’a couté environ 130 € avec le luxe d’avoir un grand plateau aux couleurs de la France (cocorico). En décembre 2020.

Aucune idée de l’impact de la pénurie de l’époque sur le prix.

Cela coute environ la même chose que des plateaux Ultegra ou Sram (que j’ai changé récemment : 06/2022). Je n’ai jamais acheté de plateaux Dura-Ace et depuis 2020 tout a augmenté alors je n’ai pas d’avis sur la comparaison.

Amélioration réelle ou effet placebo ?

Je ne pourrais pas vous dire que j’ai gagné tant de watts à la suite du passage en plateaux ovalisés. Les réels bénéfices de ces technologies font débat.

Mais j’ai tout de même constaté des améliorations significatives.

Vélocité plus importante

C’est certainement l’un des points les plus surprenants de mon expérience avec les Qrings.

Sur certaines portions j’ai gagné jusqu’à 20 tours/min.

Je me forçais déjà à pédaler le plus possible en vélocité. La fameuse cadence de 90 t/min que l’on m’a présentée quand j’ai commencé le vélo de route. Cette valeur est remise en question et sa pertinence est discutée puisqu’il n’y a pas de pédalage universel.

Pour ma part, je suis plus efficace quand je pédale au-dessus de 90 t/min, mais cela est lié aussi au fait que je peux moins facilement rouler en force.

C’est un équilibre à trouver pour chaque cycliste entre vélocité et puissance.

Des cadences faibles avec du braquet fatigue plus vite les muscles, une cadence rapide emballera plus vite la fréquence cardiaque.

À chacun son style et ses préférences.

Meilleures sensations dans les pentes

C’est la partie où les plateaux ovoïdes brillent le plus.

La sensation de facilité est impressionnante. Ils permettent de ne pas buter sur le point mort haut quand la cadence baisse. La cadence que l’on arrive à maintenir participe aussi au retard de la fatigue musculaire.

Fatigue musculaire retardée

On peut avoir l’impression de découvrir de nouveaux muscles lors de la prise en main. Les muscles travaillent différemment.

Ce point n’a pas été de la publicité mensongère dans mon cas.

J’ai pédalé plus vite plus longtemps avec la sensation de fatigue qui arrivait plus tard.

Cela doit être mis en contexte avec mon environnement qui avait changé bien sûr. J’étais mieux posé sur le vélo, étais mieux dans mes chaussures (au sens propre) et le vélo plus confortable.

Difficile de démêler précisément la part des Qrings dans tout cela. Mais je suis persuadé qu’ils ont joué un rôle.

Et après?

J’ai vraiment apprécié de rouler en Rotor Qring, mais je ne suis pas de ceux dont le passage en plateaux rond n’était plus envisageable.

Je suis repassé aux plateaux ronds en sentant la différence, mais sans avoir besoin de phase d’adaptation.

J’ai fait la grande route des alpes en juillet 2022 de Thonon-les-Bains à Nice en 8 jours. 639 km à vélo et 15 391 m de dénivelé positif.

À aucun moment je n’ai subi le point mort haut des plateaux même dans les portions les plus difficiles.

Au moment où j’écris ces lignes, j’ai roulé plus de 7000 km en plateau rond sans ressentir le besoin de retour aux plateaux non ronds.

N’est pas Froomey qui veut

Soyons honnête, l’acquisition de plateaux ovalisés ne va pas vous faire multiplier vos capacités et ça ne fera pas gagner de courses ou de grands tours (Dommage).

Pour cela il faudra de l’entrainement (beaucoup) et des capacités physiques supérieures innées probablement.

Le fait que leur utilisation ne se soit pas généralisée pose question sur leur réelle efficacité ou leur compatibilité avec les cyclistes. Cela pourrait être aussi pour des raisons de sponsors, d’optimisation logistique pour les pièces et la facilité des plateaux ronds pour la maintenance.

Mais Christopher Froome se sentait bien avec ses O’Symétric et cela a sans aucun doute participé à ses succès. Peu importe leur réelle efficacité finalement.

De meilleures habitudes de pédalage ?

Finalement, j’ai aujourd’hui des sensations proches de celles que j’ai pu avoir pendant l’utilisation des Qrings.

Évidemment toutes les sorties ne se font pas avec une facilité déconcertante (ce n’était pas le cas avec les Qrings non plus), mais j’ai l’habitude de pédaler à des cadences élevées depuis.

Il faut aussi dire que je n’ai pas tout à fait un pédalage optimale avec le fameux « pousser/tirer » constant que peux avoir les coureurs pros.

Mais il s’est amélioré.

Je n’ai pas eu l’impression que le curseur de fatigue musculaire s’est déplacé de façon significative depuis le passage en plateaux ronds.

J’en suis venu à la conclusion que j’avais acquis de meilleures habitudes de pédalage.

L’effet placebo quand il existe est toujours bon à prendre.

Comme en médecine, un placebo peut avoir autant d’effet qu’un principe actif dans certains cas.

L’importance de la composante psychologique dans le vélo (et dans le sport en général) n’est plus à démontrer. Aujourd’hui il y a de la préparation mentale dans les équipes professionnelles (ou pas) et les grands sportifs ont au moins un coach mental (quelle que soit sa spécialité). La psychologie fait partie intégrante de leur entrainement. Ils le disent eux-mêmes.

Les processus psychophysiologiques bénéfiques que pourraient apporter les plateaux peuvent donc être non négligeables sur la performance globale et sur les sensations que l’on peut avoir.

Amélioration réelle de la performance sur ce point

Quand on se sent bien avec son matériel, on a de bonnes sensations : on est être plus performant.

L’optimisation passe aussi par le confort apporté au-delà des gains réels (toute proportion gardée).

Si vous avez la possibilité de tester réellement durant une période significative des plateaux non ronds, faites-le.

Footnotes

Comparative biomechanical study of circular and non-circular chainrings for endurance cycling at constant speed, L. Malfait, G. Storme, M. Derdeyn, May 2010

Why do appropriate non-circular chainrings yield more crank power compared to conventional circular systems during isokinetic pedaling? L. Malfait, G. Storme, M. Derdeyn, January 2012

Florent SENIA, « Effet du plateau Osymetric sur la performance en cyclisme » , Rapport de recherche M1 STAPS EOPS (parcours STEP), sous la direction de CANDAU Robin (professeur des universités)Et BRIOCHE Thomas (maitre de conférences), mai 2022

Nicolas Rambier, « Effet de l’utilisation du plateau O’Symétric sur la performance du cycliste », Mémoire de master 2, Entraînement Management Ingénierie de la Performance, sous la direction de Frederic Grappe, Université de Franche-Comté, U.P.F.R des sports de Besançon, septembre 2013

Fred Grappe est docteur en biomécanique et physiologie de l’entraînement sportif, l’actuel directeur de la Performance de l’équipe cycliste professionnelle Groupama-FDJ et chercheur en science du sport et enseignant à l’Université des Sports de Besançon.